lundi 19 mai 2014

BNP Paribas et la justice américaine : pourquoi tant d'hostilité ?

La banque française risque de devoir plaider coupable, dans le dossier des transactions en dollar réalisées avec des pays sous embargo américain. Un traitement différent que celui appliqué dans la plupart des affaires de ce type qui se sont soldées ces vingt dernières années par une négociation avec la justice américaine.
Deux milliards de dollars, 3 milliards, 3,5 milliards… A mesure que les jours passent, le montant de l'amende que BNP Paribas risque de devoir payer - au titre de transactions en dollar réalisées avec des pays soumis à un embargo américain, comme le Soudan, l'Iran, Cuba et la Birmanie - gonfle dans les articles de presse. Le Wall Street Journal du 15 mai évoquait même une pénalité "supérieure de plusieurs milliards de dollars" au montant jusque là évoqué de 3,5 milliards. Celui-ci ne représentant somme toute, aux yeux de la justice américaine, qu'un semestre de bénéfices pour BNP Paribas, qui avait dégagé en 2013 un résultat net de 4,8 milliards d'euros (6,6 milliards de dollars).
Surtout, toujours d'après la presse d'outre-Atlantique, le département américain de la Justice semble bel et bien décidé à obtenir de la banque française un plaider-coupable dans ce dossier. Tout comme il paraît résolu à faire passer aux aveux Credit Suisse, accusée d'avoir favorisé l'évasion fiscale de riches Américains. Or "si une banque plaide coupable, le régulateur peut lui retirer sa licence", prévient Christian Dargham, avocat associé chez Norton Rose Fulbright. Ne plus avoir le droit de travailler aux Etats-Unis, premier marché mondial dans le secteur de la finance, voilà un coup des plus rudes pour une banque. A tel point qu'il faut remonter à 1989 pour retrouver le cas d'une banque - en l'occurrence Drexel Burnham Lambert - contrainte de plaider coupable auprès des autorités américaines.

 La mode de la justice négociée aux Etats-Unis

 Ces vingt dernières années, la plupart des affaires de violations de sanctions américaines contre certains pays se sont réglées via des "deferred prosecution agreements" (DPA), et non par des plaider-coupable", confirme Christian Dargham. Le DPA, c'est cette forme de justice négociée, en plein essor depuis dix ans aux Etats-Unis, que Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat décrivent ainsi dans leur récent ouvrage, La Capture :
"La justice américaine a compris que, face à la complexité des multinationales, la tâche consistant à apporter la preuve des comportements délictueux était devenue particulièrement ardue (…). Afin de reprendre la main, les autorités judiciaires américaines ont développé une justice par la transaction. On propose à l'entreprise concernée d'éviter la publicité d'un long procès, des perquisitions médiatisées et le risque de perdre son droit d'exercer sur le marché américain."
En contrepartie, la société en question devra diligenter des enquêtes internes, prendre des engagements vis-à-vis de la justice américaine, et payer de sa poche un "monitor", sorte de surveillant général qui, durant deux à trois ans, aura pour tâche de rapporter au département américain de la Justice ainsi qu'à la Securities and Exchange (SEC, le gendarme de la Bourse) le moindre écart commis par l'entreprise par rapport à ses engagements. Autrement dit, un DPA coûte des milliards de dollars à cette dernière, mais il lui évite une condamnation pénale et ses risques collatéraux en matière de réputation et, partant, d'activité.

 Des sanctions internationales plus sévères aux Etats-Unis

Dans ce cas, pourquoi diable BNP Paribas et Credit Suisse risquent-elles, elles, des poursuites pénales ? D'abord parce que "depuis la crise financière de 2008, les États-Unis sont devenus beaucoup plus agressifs en matière de poursuites juridiques à l'encontre des entreprises, notamment non-américaines", explique Christian Dargham. Et d'ajouter : "Cette chasse aux sociétés étrangères est particulièrement bien illustrée par les domaines de la lutte contre la corruption et des sanctions américaines contre certains pays."
 Ensuite, "les États-Unis disposent de plusieurs programmes de sanctions internationales, dont le champ d'application est beaucoup plus large que ceux de l'Union européenne (UE), en termes de produits et de personnes, par exemple", poursuit Christian Dargham. De fait, le programme de sanctions américaines contre Cuba, le plus sévère, est intitulé « Trading with the enemy act », c'est dire… Résultat, le seul fait que les transactions réalisées par BNP Paribas avec des pays soumis à embargo américain aient été effectuées en dollar, une monnaie forcément compensée sur le territoire des États-Unis, place la banque en infraction par rapport à la loi américaine.

 Un chantage au "too big to jail" qui ne porte plus

Enfin, si la justice américaine semble si décidée à arracher un plaider-coupable à BNP Paribas, c'est également parce que la banque aurait été trop lente à coopérer avec les autorités des États-Unis dès le début de l'affaire, en 2009. Ce qui aurait empêché ces dernières de poursuivre certains collaborateurs de BNP Paribas. Mais, "si les procureurs américains insistent pour obtenir des plaider-coupable, c'est également sous la pression du Sénat et de l'opinion publique, qui critiquent la multiplication des deferred prosecution agreements", souligne Christian Dargham. De fait, en février 2013, Charles Grassley, sénateur de l'Iowa, s'était ému auprès du ministre américain de la Justice Eric Holder "du peu de poursuites judiciaires liées à la crise des subprimes (crédits hypothécaires américains risqués)", rappellent Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat, dans "La Capture".
Ce que à quoi Eric Holder avait rétorqué, devant la commission judiciaire du Sénat, que "la taille de certaines de ces institutions (bancaires) est devenue si importante qu'il devient difficile pour nous de les poursuivre, lorsque nous recevons des informations indiquant que, si tel était le cas, cela pourrait avoir des conséquences négatives sur l'économie nationale." Mais ce chantage au "too big to jail" (trop gros pour être emprisonné), l'opinion publique ne le supporte plus, au vu des scandales à répétition dans le secteur bancaire. Le même Eric Holder n'a-t-il d'ailleurs pas viré sa cuti, déclarant, le 5 mai, qu'aucune banque, aussi grosse soit-elle, n'était "au-dessus des lois ?" Une allusion à peiné voilée aux dossiers BNP Paribas et Credit Suisse.

L'auteur
Christine Lejoux
Christine Lejoux

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