Malgré la nouvelle concurrence des acteurs chinois, le géant coréen garde de sérieux atouts pour continuer à profiter de la croissance du marché des smartphones.
Et
si le géant Samsung se mettait à vaciller dans le mobile ? La question
peut paraître incongrue, tant le plus grand groupe high-tech au monde
domine son sujet. Un smartphone sur trois vendu sur la planète est en
effet estampillé du logo Samsung - qui signifie « 3 étoiles » en coréen.
Et pourtant, certains signaux alarmants commencent à apparaître. Au
premier trimestre 2014, Samsung a vu les revenus de sa division mobiles
tomber à 32.400 milliards de wons (environ 23 milliards d'euros), soit
le niveau du dernier trimestre 2012. Ses bénéfices ont baissé pour le
deuxième trimestre d'affilée. Et, pour la première fois en quatre ans,
sa part de marché dans les smartphones a reculé sur les trois premiers
mois de l'année (31 %, contre 32 % l'an dernier). Pour couronner le
tout, le coréen a de nouveau été reconnu coupable au début du mois de
violation de brevets par un tribunal californien, dans un énième procès
intenté par son rival Apple.
Le
numéro un mondial du mobile fait face à l'ouverture du marché et à la
concurrence croissante des acteurs chinois, comme Huawei, Lenovo ou le
petit nouveau, Xiaomi. Des fabricants qui inondent le marché avec des
smartphones peu chers mais dont les capacités suffisent à une bonne
partie des utilisateurs. En outre, Samsung éprouve de plus en plus de
difficultés à se renouveler sur un secteur devenu ultraconcurrentiel, en
proie à la saturation dans le segment du haut de gamme. Le lancement du
dernier modèle phare, le Galaxy S5
, en vente depuis un mois, illustre cette problématique, qui concerne
tout autant Apple : à part quelques améliorations, avec l'intégration
d'un lecteur d'empreintes digitales et d'un capteur pour mesurer le
rythme cardiaque, il peine à se différencier de son prédécesseur, le S4,
dont les ventes furent décevantes.
Résultat :
les investisseurs s'inquiètent. L'an dernier, l'action de Samsung
Electronics a chuté de 15 % à la Bourse de Séoul. Elle s'est reprise
depuis le début de l'année, affichant un maigre gain de 4 %. Malgré la
défiance des marchés, le roi du mobile garde néanmoins de sérieux
atouts, ceux-là même qui lui ont permis de s'installer au sommet de
l'industrie.
Modèle à part
La
principale force du coréen réside dans son modèle, totalement intégré.
Samsung est l'un des très rares acteurs de l'industrie à pouvoir
concevoir un smartphone quasiment seul, sans avoir à se fournir auprès
de prestataires extérieurs. Il maîtrise en effet toute la chaîne de valeur,
du processeur à la mémoire en passant par les écrans. Cela est
directement lié à l'histoire même du groupe. Avant de ravir la couronne
de numéro un mondial du mobile à Nokia en 2012, le coréen a gagné
beaucoup d'argent - et de savoir-faire - au cours des deux dernières
décennies en alimentant ses concurrents en composants électroniques.
C'est encore le cas : Apple fait partie des principaux clients de
Samsung, qui a développé la puce qui fait tourner l'iPhone 5s.
Le
groupe investit des milliards d'euros chaque année dans ses usines de
semi-conducteurs pour rester à la pointe de la technologie. En 2013,
l'activité semi-conducteurs pesait 15 % du chiffre d'affaires
et près de 20 % des bénéfices de Samsung Electronics. Premier vendeur
de téléviseurs au monde, il profite aussi de son expérience dans le
domaine des écrans pour équiper ses smartphones et ceux de certains
concurrents. A l'instar d'un autre coréen, LG, il s'est inspiré de la
technologie d'écrans incurvés qu'il développe pour ses propres
télévisions pour la tester dans les mobiles, avec un premier modèle
sorti à l'automne 2013. Il est aussi le premier producteur mondial des
mémoires flash qui entrent dans la composition de chaque téléphone.
Cette
omniprésence dans les composants offre au géant coréen un avantage en
termes de structure de coûts par rapport à ses concurrents. C'est ce qui
lui permet de dégager une confortable marge opérationnelle
(18 %) dans le mobile, une activité où tant de concurrents - à
l'exception d'Apple - peinent à gagner de l'argent. Maître de la
production et doté d'extraordinaires ressources financières,
Samsung jouit aussi d'une grande flexibilité dans la fabrication. Il
peut se permettre de multiplier les produits afin de savoir lequel sera
le mieux adapté à la demande. Contrairement à Apple, qui se limite à un
catalogue très restreint, la gamme du groupe coréen est
extraordinairement riche. Dans les smartphones comme dans les tablettes,
il y en a pour tous les goûts avec toutes les tailles d'écran
possibles. Cette force de proposition lui a même permis de créer un nouveau marché, celui des « phablettes », ces terminaux à mi-chemin entre la tablette et le smartphone, sur lequel il règne en maître.
A
cette maîtrise technologique s'ajoute une exceptionnelle force de
frappe marketing. Dans ce domaine, le coréen n'hésite pas à s'inspirer
des méthodes de son rival californien. Le lancement d'un smartphone
Galaxy s'apparente à un show digne d'un concert de stars de la pop -
souvent invitées à y participer. Les budgets pharaoniques de
communication accompagnant ces lancements permettent de garder
l'avantage sur la concurrence et d'assurer la notoriété de la marque.
Celle de Samsung, bien sûr, mais aussi de Galaxy. Le groupe a réussi à
installer sa gamme de smartphones premium, créée en 2009, comme une
véritable marque dans l'univers du mobile, déclinée dans les tablettes,
les appareils photo et les montres connectées.
S'il
maîtrise comme aucun de ses concurrents les éléments hardware et est
passé maître dans l'art du marketing, le groupe reste à la peine dans le
logiciel, où réside une part croissante de la valeur dans l'industrie.
Conscient de cette faiblesse, Samsung n'a pas hésité à sauter dans les
bras de Google dès 2009 et à choisir son système d'exploitation Android,
gratuit, pour faire tourner ses mobiles, et notamment les Galaxy.
Depuis, les deux géants ont contribué ensemble à leur succès sur le
marché des smartphones - même si les responsables de Samsung rappellent
qu'ils travaillent beaucoup sur le logiciel de Google afin de l'adapter à
leurs terminaux (8.000 lignes de code supplémentaires). Le coréen
développe aussi son propre système d'exploitation mobile, Tizen, mais
celui-ci n'a pas encore été intégré dans ses modèles phares.
Dans
le marché des mobiles, tout va très vite. Il faut pouvoir prendre des
décisions rapidement et savoir se remettre en cause. Malgré la taille du
groupe, qui emploie environ 370.000 personnes dans 80 pays, c'est l'un
de ses atouts. Cette aptitude vient de l'organisation même de
l'entreprise, archétype du capitalisme coréen. Les décisions viennent
d'en haut et sont appliquées avec rapidité et discipline. Le président
Lee Kun-hee (72 ans) règne d'une main de fer sur l'empire depuis 1987 et
la mort de son père, le fondateur. C'est lui qui a transformé le conglomérat,
présent dans les chantiers navals, le BTP et les assurances, en
véritable champion de la high-tech et imposé la marque dans le monde
entier. Réputé pour sa vision mais aussi ses méthodes de management
inédites, il n'a pas hésité, en 1995, à brûler devant 2.000 salariés un
stock de 150.000 téléphones portables qu'il jugeait de trop faible
qualité.
Eternel insatisfait,
Lee rappelle souvent que, malgré sa domination, le leader du mobile
n'est pas invincible. Et qu'il doit continuer à innover et à se
réinventer. Avec une trésorerie de plus de 60 milliards de dollars,
Samsung a de quoi financer une nouvelle transformation. La succession à
la tête du groupe, qui devrait s'accélérer après la récente
hospitalisation de Lee Kun-hee, pourrait être un facteur supplémentaire
d'évolution. Son fils Jay Y. Lee, actuel vice-président, est pressenti
pour reprendre le flambeau. A lui d'assurer un avenir brillant à
l'entreprise « 3 étoiles ».
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