jeudi 15 mai 2014

Pourquoi Samsung domine la galaxie mobile

Malgré la nouvelle concurrence des acteurs chinois, le géant coréen garde de sérieux atouts pour continuer à profiter de la croissance du marché des smartphones.

Pourquoi Samsung domine la galaxie mobile
Et si le géant Samsung se mettait à vaciller dans le mobile ? La question peut paraître incongrue, tant le plus grand groupe high-tech au monde domine son sujet. Un smartphone sur trois vendu sur la planète est en effet estampillé du logo Samsung - qui signifie « 3 étoiles » en coréen. Et pourtant, certains signaux alarmants commencent à apparaître. Au premier trimestre 2014, Samsung a vu les revenus de sa division mobiles tomber à 32.400 milliards de wons (environ 23 milliards d'euros), soit le niveau du dernier trimestre 2012. Ses bénéfices ont baissé pour le deuxième trimestre d'affilée. Et, pour la première fois en quatre ans, sa part de marché dans les smartphones a reculé sur les trois premiers mois de l'année (31 %, contre 32 % l'an dernier). Pour couronner le tout, le coréen a de nouveau été reconnu coupable au début du mois de violation de brevets par un tribunal californien, dans un énième procès intenté par son rival Apple.
Le numéro un mondial du mobile fait face à l'ouverture du marché et à la concurrence croissante des acteurs chinois, comme Huawei, Lenovo ou le petit nouveau, Xiaomi. Des fabricants qui inondent le marché avec des smartphones peu chers mais dont les capacités suffisent à une bonne partie des utilisateurs. En outre, Samsung éprouve de plus en plus de difficultés à se renouveler sur un secteur devenu ultraconcurrentiel, en proie à la saturation dans le segment du haut de gamme. Le lancement du dernier modèle phare, le Galaxy S5 , en vente depuis un mois, illustre cette problématique, qui concerne tout autant Apple : à part quelques améliorations, avec l'intégration d'un lecteur d'empreintes digitales et d'un capteur pour mesurer le rythme cardiaque, il peine à se différencier de son prédécesseur, le S4, dont les ventes furent décevantes.
 
 
Résultat : les investisseurs s'inquiètent. L'an dernier, l'action de Samsung Electronics a chuté de 15 % à la Bourse de Séoul. Elle s'est reprise depuis le début de l'année, affichant un maigre gain de 4 %. Malgré la défiance des marchés, le roi du mobile garde néanmoins de sérieux atouts, ceux-là même qui lui ont permis de s'installer au sommet de l'industrie.

Modèle à part

La principale force du coréen réside dans son modèle, totalement intégré. Samsung est l'un des très rares acteurs de l'industrie à pouvoir concevoir un smartphone quasiment seul, sans avoir à se fournir auprès de prestataires extérieurs. Il maîtrise en effet toute la chaîne de valeur, du processeur à la mémoire en passant par les écrans. Cela est directement lié à l'histoire même du groupe. Avant de ravir la couronne de numéro un mondial du mobile à Nokia en 2012, le coréen a gagné beaucoup d'argent - et de savoir-faire - au cours des deux dernières décennies en alimentant ses concurrents en composants électroniques. C'est encore le cas : Apple fait partie des principaux clients de Samsung, qui a développé la puce qui fait tourner l'iPhone 5s.
Le groupe investit des milliards d'euros chaque année dans ses usines de semi-conducteurs pour rester à la pointe de la technologie. En 2013, l'activité semi-conducteurs pesait 15 % du chiffre d'affaires et près de 20 % des bénéfices de Samsung Electronics. Premier vendeur de téléviseurs au monde, il profite aussi de son expérience dans le domaine des écrans pour équiper ses smartphones et ceux de certains concurrents. A l'instar d'un autre coréen, LG, il s'est inspiré de la technologie d'écrans incurvés qu'il développe pour ses propres télévisions pour la tester dans les mobiles, avec un premier modèle sorti à l'automne 2013. Il est aussi le premier producteur mondial des mémoires flash qui entrent dans la composition de chaque téléphone.
Cette omniprésence dans les composants offre au géant coréen un avantage en termes de structure de coûts par rapport à ses concurrents. C'est ce qui lui permet de dégager une confortable marge opérationnelle (18 %) dans le mobile, une activité où tant de concurrents - à l'exception d'Apple - peinent à gagner de l'argent. Maître de la production et doté d'extraordinaires ressources financières, Samsung jouit aussi d'une grande flexibilité dans la fabrication. Il peut se permettre de multiplier les produits afin de savoir lequel sera le mieux adapté à la demande. Contrairement à Apple, qui se limite à un catalogue très restreint, la gamme du groupe coréen est extraordinairement riche. Dans les smartphones comme dans les tablettes, il y en a pour tous les goûts avec toutes les tailles d'écran possibles. Cette force de proposition lui a même permis de créer un nouveau marché, celui des « phablettes », ces terminaux à mi-chemin entre la tablette et le smartphone, sur lequel il règne en maître.
A cette maîtrise technologique s'ajoute une exceptionnelle force de frappe marketing. Dans ce domaine, le coréen n'hésite pas à s'inspirer des méthodes de son rival californien. Le lancement d'un smartphone Galaxy s'apparente à un show digne d'un concert de stars de la pop - souvent invitées à y participer. Les budgets pharaoniques de communication accompagnant ces lancements permettent de garder l'avantage sur la concurrence et d'assurer la notoriété de la marque. Celle de Samsung, bien sûr, mais aussi de Galaxy. Le groupe a réussi à installer sa gamme de smartphones premium, créée en 2009, comme une véritable marque dans l'univers du mobile, déclinée dans les tablettes, les appareils photo et les montres connectées.
S'il maîtrise comme aucun de ses concurrents les éléments hardware et est passé maître dans l'art du marketing, le groupe reste à la peine dans le logiciel, où réside une part croissante de la valeur dans l'industrie. Conscient de cette faiblesse, Samsung n'a pas hésité à sauter dans les bras de Google dès 2009 et à choisir son système d'exploitation Android, gratuit, pour faire tourner ses mobiles, et notamment les Galaxy. Depuis, les deux géants ont contribué ensemble à leur succès sur le marché des smartphones - même si les responsables de Samsung rappellent qu'ils travaillent beaucoup sur le logiciel de Google afin de l'adapter à leurs terminaux (8.000 lignes de code supplémentaires). Le coréen développe aussi son propre système d'exploitation mobile, Tizen, mais celui-ci n'a pas encore été intégré dans ses modèles phares.
Dans le marché des mobiles, tout va très vite. Il faut pouvoir prendre des décisions rapidement et savoir se remettre en cause. Malgré la taille du groupe, qui emploie environ 370.000 personnes dans 80 pays, c'est l'un de ses atouts. Cette aptitude vient de l'organisation même de l'entreprise, archétype du capitalisme coréen. Les décisions viennent d'en haut et sont appliquées avec rapidité et discipline. Le président Lee Kun-hee (72 ans) règne d'une main de fer sur l'empire depuis 1987 et la mort de son père, le fondateur. C'est lui qui a transformé le conglomérat, présent dans les chantiers navals, le BTP et les assurances, en véritable champion de la high-tech et imposé la marque dans le monde entier. Réputé pour sa vision mais aussi ses méthodes de management inédites, il n'a pas hésité, en 1995, à brûler devant 2.000 salariés un stock de 150.000 téléphones portables qu'il jugeait de trop faible qualité.
Eternel insatisfait, Lee rappelle souvent que, malgré sa domination, le leader du mobile n'est pas invincible. Et qu'il doit continuer à innover et à se réinventer. Avec une trésorerie de plus de 60 milliards de dollars, Samsung a de quoi financer une nouvelle transformation. La succession à la tête du groupe, qui devrait s'accélérer après la récente hospitalisation de Lee Kun-hee, pourrait être un facteur supplémentaire d'évolution. Son fils Jay Y. Lee, actuel vice-président, est pressenti pour reprendre le flambeau. A lui d'assurer un avenir brillant à l'entreprise « 3 étoiles ».
Romain Gueugneau

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