Jean-Claude Juncker veut donner des consignes à la BCE sur le taux de change
Le candidat du PPE à la présidence de la Commission veut donner des
"orientations générales" de change à la BCE. Mais il se trompe dans son
interprétation des traités.
Jean-Claude Juncker semble décidé à ne plus
apparaître comme le candidat de l'austérité et d'Angela Merkel. Dans un
entretien accordé au quotidien conservateur allemand Frankfurter
Allgemeine Zeitung et qui paraîtra lundi, il indique ainsi qu'il est
prêt à faire usage du droit de la Commission de formuler des
« orientations générales » concernant le niveau de l'euro. Il reprend
ainsi une demande des Socialistes français.
« L'indépendance de la Banque centrale est un bien
précieux mais le Traité autorise la Commission à proposer aux ministres
des Finances une orientation générale. Et, ensuite, la Banque doit faire
ce qu'écrivent les ministres des Finances de la zone euro », a indiqué l'ancien premier ministre luxembourgeois. Il fait allusion à l'article 219 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (FTUE). Mais la réalité des traités est un peu différente de ce qu'avance le candidat du PPE.
L'erreur de Jean-Claude Juncker
Selon le traité, en effet, la Commission peut proposer ces
« orientations générales » pour le taux de change. Mais elle ne peut le
faire « qu'après consultation de la BCE. » Si elle le fait contre le vœu
de la BCE, nul doute que cette dernière le fera savoir, ce qui rendra
ces orientations de peu de poids sur les marchés. Par ailleurs, le
traité précise bien que ces orientations doivent être prises en compte
dans le cadre du mandat de la BCE. Autrement dit dans le cadre de la
stabilité des prix. Pas question donc de faire une dévaluation
compétitive de l'euro qui provoquerait de l'inflation. Contrairement à
ce que dit Jean-Claude Juncker, la Banque ne doit pas faire ce qu'écrivent les ministres. Ou bien, son indépendance n'est qu'une chimère.
Le paradoxe de Jean-Claude Juncker
C'est donc bien la BCE qui a le dernier mot, pas
l'Eurogroupe et encore moins la Commission. Jean-Claude Juncker, grisé
sans doute par des sondages favorables, se laisse un peu emporté. Du
reste, il se contredit puisque, selon la FAZ, il a refusé de dire s'il
pouvait agir sur les taux « parce qu'il ne se mêle pas de politique
monétaire. » Mais fixer un objectif de change, demander d'agir sur les
changes, c'est faire de la politique monétaire. C'est même demander à la
BCE de faire glisser la priorité de son action de la stabilité des prix
faire l'évolution du taux de change. Sur un marché aussi vaste que
celui de l'euro, tout action de la BCE devra être suffisamment fort pour
être efficace, surtout dans un contexte où, après les politiques
d'austérité, les excédents courants de la zone euro sont en hausse et
alimentent la demande de monnaie unique sur le marché. Bref, Jean-Claude
Juncker fait de la politique plus que de l'économie.
L'article 219 au service de la tactique de la BCE ?
On peut en revanche imaginer que la BCE, qui souhaite faire
baisser l'euro non pas pour augmenter la compétitivité de la zone, mais
pour éviter la déflation, accepte d'utiliser l'article 219 pour « en
imposer » aux marchés. Mais il faudra alors comprendre qu'il s'agira
d'une action de la BCE, pas de Jean-Claude Juncker ou de Manuel Valls.
Il faudra aussi comprendre qu'il ne s'agit pas pour la BCE de faire
reculer l'euro pour améliorer la compétitivité de tel ou tel pays, mais
bien plutôt pour renchérir les importations et relever les anticipations
d'inflation. Pour empêcher que des anticipations trop basses ne nuisent
au crédit et à l'investissement.
Quelle stratégie ?
Quelle stratégie mène avec cette proposition choc
Jean-Claude Juncker ? Il prend le risque d'effrayer son électorat
allemand, mais comme l'on sait que c'est Angela Merkel qui l'a choisi,
il prend là peu de risques. En revanche, il tente de rassurer
l'électorat conservateur français et italien peu enthousiaste à son
égard et dont beaucoup pensent que l'euro est trop fort pour leurs
industries nationales. Il veut aussi montrer que le politique ne serait
pas passif dans le cadre de la politique économique. Mais ses arguments
sont faibles.
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