Thomas Piketty a apporté beaucoup à la
connaissance de l'économie. Notamment à celle des inégalités. Sur ce
sujet fondamental , il y a vraiment un avant et un après Piketty. Avant,
le citoyen intéressé par ces questions ne disposait que d'indicateurs
très globaux, ne permettant pas de saisir la réalité des évolutions.
Ainsi, s'agissant de la mesure des écarts de revenus, l'OCDE comme
l'Insee mettaient-ils en avant le rapport inter-décile, c'est-à-dire le
rapport entre le 9e décile (90% des personnes sous ce niveau de
rémunération) et le 1er décile (10% des foyers en deçà). Un ratio qui ne
dit évidemment rien, par construction, de ce qui se passe au sein de la
catégorie importante, celle des 10"% de personnes les plus aisées.
Or, s'agissant de la France, cette augmentation de la valeur du patrimoine national, rapportée au revenu de la nation, n'est pas due à une envolée du capital productif, qui serait la marque d'un capitalisme débridé: elle tient uniquement au logement. C'est ce que montrent du reste les graphiques publiés par Thomas Piketty.
Ce qui soulève deux questions : le logement, évalué par les comptes nationaux, n'est-il pas survalorisé? «Pour qualifier la hausse des inégalités de patrimoine, il faut mesurer le capital immobilier à partir des loyers - la valeur d'un logement est une somme de ses loyers actualisés - et non à partir des prix d'acquisition et de cession des prix immobiliers », estiment les auteurs de la note.
Et, peut-on comparer le patrimoine logement aujourd'hui et il y a un siècle? Sa répartition est infiniment plus grande aujourd'hui. Au XIXe siècle, on ne comptait, par exemple, en Grande-Bretagne que 30.000 propriétaires. Aujourd'hui, 56% des ménages français le sont....
Ce qui fait l'extraordinaire montée des inégalités de revenus aux États-Unis - et non en France, comme le montre la base de données World Top incomes - c'est la hausse des revenus du travail: la fameuse minorité des 1% d'Américains les plus riches doit son aisance avant tout à ses salaires en hausse constante, comme le montrent les travaux de Piketty, alors que la rémunération de l'ouvrier américain n'a pas évolué depuis 40 ans (en dollars constants). En réalité, l'économiste n'apporte que peu à la connaissance du capital, et beaucoup plus à celle des revenus et de leur répartition. Intitulé «Les Revenus au XXIe siècle!», son livre aurait été inattaquable.
À tel point que François Hollande avait inscrit dans son programme, à son corps défendant, la fameuse fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, base de la «révolution fiscale» version Piketty. Il faut dire que l'économiste avait particulièrement bien vendu sa thèse: en fusionnant ces impôts, il est possible, affirmait-il, de diminuer la taxation de l'immense majorité des Français (97% d'entre eux), en augmentant celle d'une infime minorité (seulement 3%). Une sorte de solution miraculeuse au problème du pouvoir d'achat. "Pourquoi donc s'en priver?", se demandait-on au PS. Sauf qu'aucun des défenseurs de cette révolution n'était allé se plonger dans les données que Thomas Piketty et ses coauteurs proposent sur leur site Internet, revolution-fiscale.fr.
Ils suggèrent un nouveau barème pour l'impôt sur le revenu, issu de leur réforme. Un barème conçu non pas sur la base de tranches d'imposition que chacun connaît, mais en fonction d'un taux moyen d'imposition. Ce mode de calcul, déroutant au regard de la pratique habituelle, aboutit en réalité à un alourdissement important de la taxation des hauts revenus. À partir de 10000 euros brut par mois, la hausse aurait été supérieure à 20%, pour dépasser les 100% s'agissant des très hauts revenus. Envisageable?
Peut-on donc faire confiance aux résultats affichés par Thomas Piketty? L'impression prévaut que, tout à sa volonté de bien «vendre» ses thèses, l'économiste est prêt à arranger la vérité des résultats statistiques obtenus à l'issue de ses recherches. "C'est de la pop-economics" estime un de ses confrères. De quoi donner des arguments à ses adversaires, alors même que ses travaux sont essentiels.
La dérive des hauts salaires passée sous silence
C'est ainsi que la forte hausse des plus hauts salaires en France, ceux des cadres supérieurs notamment de la finance, au début des années 2000, avait été passée sous silence jusqu'à la publication par Camille Landais, un disciple de Piketty, d'une étude de référence sur le sujet. Obtenant de Bercy des séries statistiques longues sur les revenus et leur imposition, Thomas Piketty a dévoilé ce qu'était leur réalité historique, et l'évolution de l'écart entre rémunérations faibles et élevées, mettant en avant les revenus de la minorité la plus riche (1% de de la population). Il a constitué avec ses collègues une base internationale sur les « top incomes », à laquelle les experts de l'OCDE ont désormais recours.Un ouvrage essentiel
Le Capital au XXIe siècle, le dernier livre de Thomas Piketty, paru (au Seuil) en France en septembre, et qui rencontre aux États-Unis le succès que l'on sait - en tête des ventes, même devant les auteurs de romans formatés pour la vente - est un ouvrage essentiel, riche d'informations sur l'évolution des inégalités de revenus dans le monde, depuis le début du XXe siècle. Un ouvrage accessible - même si cette volonté d'être pédagogue est à l'origine de redites parfois lourdes et agaçantes - et surtout correspondant à une vraie interrogation de la frange cultivée des Américains, dans un pays où les inégalités explosent littéralement : sur les trois dernières années, 95% de la hausse du revenu distribué aux ménages a été accaparée par 1% d'entre eux, les plus aisés. Ceux-ci ont vu leur revenu augmenter de 31,4% en termes réels entre 2009 et 2012! . Pour les autres, on est plus rapproche du zéro, selon les statistiques fiscales américaines compilées par un des proches de Piketty, Emmanuel Saez.De vrais problèmes méthodologiques
Mais "le capital au XXième siècle", que peu de ses zélateurs ont sans doute lu entièrement - 950 pages, tout de même - pose de vrais problèmes méthodologiques. Des problèmes révélateurs de la méthode Piketty. Car, si l'ex-directeur de l'École d'économie de Paris (Paris School of Economics, dont il fut l'un des fondateurs) a toujours eu l'art de présenter ses thèses avec brio, celles-ci ont souvent été bâties en prenant quelques libertés avec la rigueur scientifique, à laquelle se plie la grande majorité des économistes. Au point de fragiliser parfois la démonstration.Le logement, facteur de hausse du stock du capital, selon les calculs de Piketty
Quel est le problème, avec Le Capital au XXIe siècle? Il a été soulevé récemment par quatre chercheurs de Sciences Po, membres du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP), qui ont publié une note à ce sujet. Thomas Piketty met en avant une forte hausse de la valeur du patrimoine au cours des dernières années, hausse qu'il présente comme le résultat d'un processus d'accumulation, signe d'un retour à une économie de type XIXe siècle - Balzac est cité à dessein-, dans laquelle ce sont les détenteurs d'un patrimoine qui seuls vivent bien, et s'enrichissent de plus en plus, leur richesse faisant boule de neige.Or, s'agissant de la France, cette augmentation de la valeur du patrimoine national, rapportée au revenu de la nation, n'est pas due à une envolée du capital productif, qui serait la marque d'un capitalisme débridé: elle tient uniquement au logement. C'est ce que montrent du reste les graphiques publiés par Thomas Piketty.
Ce qui soulève deux questions : le logement, évalué par les comptes nationaux, n'est-il pas survalorisé? «Pour qualifier la hausse des inégalités de patrimoine, il faut mesurer le capital immobilier à partir des loyers - la valeur d'un logement est une somme de ses loyers actualisés - et non à partir des prix d'acquisition et de cession des prix immobiliers », estiment les auteurs de la note.
Et, peut-on comparer le patrimoine logement aujourd'hui et il y a un siècle? Sa répartition est infiniment plus grande aujourd'hui. Au XIXe siècle, on ne comptait, par exemple, en Grande-Bretagne que 30.000 propriétaires. Aujourd'hui, 56% des ménages français le sont....
Le titre juste : « Les revenus au XXIème siècle»
La thèse d'une évolution de la valeur du patrimoine (rapportée au revenu), en forme de courbe en U (baisse de cette valeur jusque dans les années 1980, puis forte hausse) ne tient donc pas. Quand Piketty affirme, en outre, que le rendement du capital est aujourd'hui supérieur à la croissance des revenus, ce qui conduit à une forte accumulation patrimoniale, il y a aussi matière à discussion : s'il inclut le logement dans l'évaluation du stock de capital, il l'exclut lorsqu'il s'agit de calculer son rendement. Une manière de gonfler cette évaluation de la rentabilité.Ce qui fait l'extraordinaire montée des inégalités de revenus aux États-Unis - et non en France, comme le montre la base de données World Top incomes - c'est la hausse des revenus du travail: la fameuse minorité des 1% d'Américains les plus riches doit son aisance avant tout à ses salaires en hausse constante, comme le montrent les travaux de Piketty, alors que la rémunération de l'ouvrier américain n'a pas évolué depuis 40 ans (en dollars constants). En réalité, l'économiste n'apporte que peu à la connaissance du capital, et beaucoup plus à celle des revenus et de leur répartition. Intitulé «Les Revenus au XXIe siècle!», son livre aurait été inattaquable.
Quand Piketty séduisait le PS…
Paru en 2011, le livre précédent de Thomas Piketty, "Pour une révolution fiscale", (Seuil) visait à animer le débat économique en vue de l'élection présidentielle française. Au candidat PS, alors non encore désigné, l'auteur suggérait une refonte profonde de la fiscalité. Ce livre, au sujet franco-français, n'a donc évidemment pas connu une brillante carrière internationale. Mais, de 2011 à l'automne 2013, il était devenu le véritable «mantra» de tout militant socialiste, jusqu'au plus haut niveau du PS: «bien entendu, pour plus de justice, il faut faire la réforme Piketty! », entendait-on dans les couloirs de la rue de Solférino.À tel point que François Hollande avait inscrit dans son programme, à son corps défendant, la fameuse fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, base de la «révolution fiscale» version Piketty. Il faut dire que l'économiste avait particulièrement bien vendu sa thèse: en fusionnant ces impôts, il est possible, affirmait-il, de diminuer la taxation de l'immense majorité des Français (97% d'entre eux), en augmentant celle d'une infime minorité (seulement 3%). Une sorte de solution miraculeuse au problème du pouvoir d'achat. "Pourquoi donc s'en priver?", se demandait-on au PS. Sauf qu'aucun des défenseurs de cette révolution n'était allé se plonger dans les données que Thomas Piketty et ses coauteurs proposent sur leur site Internet, revolution-fiscale.fr.
Ils suggèrent un nouveau barème pour l'impôt sur le revenu, issu de leur réforme. Un barème conçu non pas sur la base de tranches d'imposition que chacun connaît, mais en fonction d'un taux moyen d'imposition. Ce mode de calcul, déroutant au regard de la pratique habituelle, aboutit en réalité à un alourdissement important de la taxation des hauts revenus. À partir de 10000 euros brut par mois, la hausse aurait été supérieure à 20%, pour dépasser les 100% s'agissant des très hauts revenus. Envisageable?
60% de perdants
Sans aller aussi loin, la seule individualisation de l'impôt sur le revenu, voulue par Thomas Piketty, ferait 60% de perdants, a-t-on appris, à l'automne 2013. La simple évocation de ce chiffre, à laquelle s'est ajoutée une donnée similaire concernant la fusion IR-CSG, a mis fin à l'illusion du miracle Piketty.Un écart d'emplois largement surévalué
Déjà, à la fin des années 1990, l'économiste avait fait fureur en pointant la grande faiblesse de l'emploi dans les services en France, par rapport aux États-Unis, avec pour conséquence, selon ses calculs, la perte de 2,8 millions d'emplois dans l'Hexagone - pas moins. Sauf qu'il avait omis de préciser l'origine de cet écart: pour l'essentiel, cette différence France-États-Unis relevait des jobs à temps partiel exercés par des étudiants, en nombre beaucoup plus grand aux États-Unis. Ce gap de 2,8 millions d'emplois n'a donc jamais réellement existé.Peut-on donc faire confiance aux résultats affichés par Thomas Piketty? L'impression prévaut que, tout à sa volonté de bien «vendre» ses thèses, l'économiste est prêt à arranger la vérité des résultats statistiques obtenus à l'issue de ses recherches. "C'est de la pop-economics" estime un de ses confrères. De quoi donner des arguments à ses adversaires, alors même que ses travaux sont essentiels.
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