samedi 17 mai 2014

La réforme des stages qui oublie l’essentiel

La réforme de la réglementation sur les stages, qui vient d'être votée tour à tour par l'Assemblée nationale et par le Sénat, risque fort de manquer son objectif – ou du moins, ce qui devrait être son objectif principal : conforter et organiser un dispositif qui a fait ses preuves, et faire en sorte qu'il bénéficie davantage aux étudiants et aux entreprises. Surtout dans cette période de chômage galopant et de précarité montante pour les jeunes.
Certes, à première vue, le texte comporte de multiples avancées qui devraient permettre de mieux protéger les stagiaires et de limiter les abus du côté des employeurs : coup d'arrêt aux stages de plus de six mois, gratification obligatoire au-delà d'un mois de stage, augmentation sensible de la gratification minimale (qui passe de 436 à 523 euros par mois), accès aux tickets de restaurant pour les stagiaires, limitation du recours aux stagiaires (pas plus de 10 % de l'effectif), améliorations des conditions de travail, etc.

L'ennui, c'est que le nouveau dispositif, pourtant conçu dans une louable intention, risque d'avoir un effet dissuasif pour nombre d'entreprises. Rebutées par les rigidités accrues du système, il y a en effet fort à parier que beaucoup vont réduire leur recours aux stagiaires. Certaines, déjà, ne s'en cachent pas. Et certains enseignants se demandent comment leurs élèves pourront, à l'avenir, décrocher un stage, alors qu'ils ont déjà de grandes difficultés à y parvenir.
Au passage, on renforce aussi l'idée, déjà bien ancrée dans le pays, que les entreprises sont le mal absolu et les patrons, le plus souvent, des profiteurs.
Le nouveau dispositif risque donc de freiner un système qui a pourtant, globalement, fait ses preuves, et qui comporte des avantages appréciables. Ces avantages, rappelons-les, sont au nombre de quatre :
1. le stage permet de compléter, avec une approche pratique et opérationnelle, les enseignements théoriques reçus en classe. Il contribue donc de façon décisive à la formation des jeunes ;
2. il permet aux jeunes de découvrir l'entreprise telle qu'elle est. Avec ses exigences et ses contraintes, mais aussi ses satisfactions et sa dimension humaine...
3. il favorise l'insertion professionnelle des futurs diplômés, notamment en leur permettant d'acquérir des méthodes et des habitudes de travail (respect des délais, souci du client, sens de l'effort, respect de la hiérarchie...), et de se familiariser avec tel ou tel métier ;
4. le stage contribue au développement personnel et à la maturité des jeunes, en les confrontant à un autre univers, à mille lieues de l'école ou de l'université. Tous les pédagogues savent que les élèves reviennent de leur expérience en entreprise plus mûrs et plus "équilibrés". Même quand cette expérience ne s'est pas déroulée de façon optimale.
Légiférer et punir, au lieu d'éduquer et communiquer
En dépit des multiples observations préalables formulées tant par les entreprises que par les acteurs de l'enseignement supérieur, les législateurs ont en effet choisi d'adopter une approche indifférenciée des stages – alors que la question se pose de façon très diverse selon les niveaux d'études (de la classe de troisième au master 2...), les filières, les types d'entreprise, les secteurs d'activité...
Ils ont, surtout, choisi de miser sur la réglementation – quitte à gonfler l'arsenal des textes – et la répression, là où il était possible de faire œuvre de pédagogie et de souplesse. Par exemple en incitant les entreprises à mieux se comporter, en publiant un guide des bonnes pratiques, etc. Ils ont opté pour la même approche qu'en matière de lutte contre les accidents de la circulation : dans ce domaine, les pouvoirs publics choisissent systématiquement l'arme des radars et de la répression, oubliant de valoriser les bons conducteurs ou d'éduquer les auteurs d'infraction. L'une des causes, maintes fois soulignée, de cette propension à la réglementation et à la "punition" tient sans doute au fait que la plupart des députés et sénateurs n'ont qu'une connaissance très limitée – sinon inexistante – de l'entreprise.
Mais les politiques ne sont pas les seuls à blâmer. Les chefs d'entreprise et les DRH qui, depuis de nombreuses années, ont abusé des stages, qui ont profité sans vergogne de ce dispositif pour réduire leur masse salariale, qui n'ont vu dans les stagiaires qu'une main-d'oeuvre au rabais, tous ceux-là portent aussi une lourde responsabilité dans les mesures qui viennent d'être adoptées, et qui les visent en priorité.

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