Le changement de système de votes au sein de la BCE inquiète l'Allemagne
Avec l'entrée de la Lituanie dans la zone euro, une rotation des
voix au sein du conseil des gouverneurs sera mise en place en 2015.
L'Allemagne s'émeut d'une possible perte d'influence.
C'est une des conséquences de l'entrée de la
Lituanie dans la zone euro le 1er janvier 2015. Le système de vote au
sein du Conseil des gouverneurs de la BCE va changer. Jusqu'ici, cette
instance était constituée des 18 gouverneurs des banques centrales
nationales et des six membres du directoire de la BCE. Tout le monde
avait alors le droit de vote concernant les décisions de politique
monétaire. Mais le 1er janvier prochain, les choses vont changer.
Une réforme prévue en 2003…
En 2003, la BCE avait prévu de modifier les conditions de
vote au conseil. En théorie, l'adhésion d'un 16ème membre à la zone euro
devait déclencher cette modification. Mais, en 2008,
lorsque la BCE donnait son feu vert à l'adhésion de la Slovaquie, 16ème
pays de l'Union économique et monétaire, son président Jean-Claude
Trichet décida de remettre le grand chambardement à plus tard. Il est
vrai qu'il savait que la modification du système de vote n'était guère
appréciée par certains membres, à commencer par l'Allemagne. Le Français
a sans doute préféré, assez élégamment transmettre à son successeur ce
fardeau. Tout en dictant le futur fonctionnement du conseil.
… et appliquée en 2015
C'est donc l'adhésion d'un 19ème membre qui va modifier les
règles. L'arrivée de la Lituanie a donc un impact plus important que
celui de l'intégration de sa modeste économie. Désormais, les droits de vote des gouverneurs vont « tourner » chaque mois afin
que le nombre de voix dans le Conseil ne dépasse jamais 21 (15
gouverneurs et les six membres du directoire). Dans un premier temps,
les gouverneurs seront divisés en deux groupes. Le premier regroupera
les 5 plus grandes économies (Allemagne, France, Italie, Espagne et
Pays-Bas). Le second regroupera les autres. Le premier groupe disposera
de 4 voix et le second de 11.
Le principe de la rotation
Concrètement, un des gouverneurs du premier groupe perdra
son droit de vote au conseil tous les 5 mois. Deux fois par an, donc, le
gouverneur de la Banque de France et celui de la Bundesbank ne pourront
voter au conseil. Dans le second groupe, trois gouverneurs (pour le
moment) seront privés de droit de vote chaque mois. Ce système tiendra
jusqu'à ce que l'UEM atteigne 22 membres. Alors, le conseil sera divisé
en trois groupes, mais le premier groupe conservera 5 membres et 4 voix,
tandis que le deuxième et le troisième ne seront stables qu'en nombre
de voix (8 et 3 respectivement). Autrement dit, l'ajustement se fera sur
les « petits pays. »
Les conséquences : perte d'influence des « petits »
Quelles sont les conséquences de ce système ? D'abord, une
légère perte d'influence relative des petites économies. Jusqu'ici, par
exemple, le gouverneur de la banque centrale maltaise dont le PIB pèse
10 milliards d'euros avait le même poids dans le conseil que le
président de la Buba allemande, représentant une économique 250 fois
plus lourde. A partir de 2015, sur un an, la Buba votera 10 fois et son
homologue maltais 9,4 fois (en moyenne). La différence est faible, mais
elle devrait croître. Si un jour l'UEM atteint 21 membres, Malte votera
8,25 fois par an, contre toujours 10 fois pour l'Allemagne. Si les 28
pays de l'Union européenne finissait par entrer dans la zone euro, Malte
ne pourrait voter que 4 fois par an en moyenne. Il y a donc une
représentativité croissante des « grands. »
Un directoire plus puissant
Deuxième élément : le poids du directoire, qui, lui,
conserve un droit de vote permanent, a s'accroître, donnant au président
de la BCE un peu plus de pouvoir, car on peut imaginer que le vote du
directoire est un peu plus « cohérent » que celui des gouverneurs.
Des « grands » soumis parfois à un silence relatif
Troisième élément : malgré ce poids relatif plus important,
chacun des « grands » va devoir apprendre à ne pas peser sur les
décisions pendant deux mois de l'année. Même s'il est précisé que chaque
gouverneur continuera à disposer d'un droit de parole et donc pourra
continuer à influer indirectement sur le conseil. Selon les analystes de
Barclays, il est, du reste, impensable, que « les voix de ceux qui ne
votent pas soient ignorées. » Mais ce n'est pas l'avis de tout le monde.
Emotion en Allemagne
En Allemagne, en effet, cette réforme émeut la presse. Ce lundi, la Frankfurter Allgemeine Zeitung
et le Handelsblatt s'insurgent contre cette idée qu'un Conseil des
gouverneurs de la BCE puisse se passer du vote de la première économie
de la région. Le Handelsblatt titre : « l'Allemagne menacée d'une perte de pouvoir. »
Derrière ces protestations, il n'y a pas qu'une question de prestige ou
d'honneur. Depuis la crise de la zone euro, les Allemands craignent de
devoir accepter, malgré eux, des politiques contraires à leur « culture
économique », mais aussi à leur intérêt macro-économique.
La BCE résiste au pouvoir allemand
Car la BCE est au centre de leurs inquiétudes, parce que
c'est là que, en Europe, le pouvoir allemand est le plus faible, du fait
de son indépendance. Au Conseil, ou au parlement, rien ne peut se faire
sans l'aval de Berlin. A la BCE, c'est beaucoup moins évident. En 2011
et 2012, la Buba avait ainsi mené une résistance vaine contre la
politique de la BCE de rachat de dette souveraine. L'ancien économiste
en chef de la BCE, Jürgen Stark, avait même démissionné avec fracas du directoire de la BCE en 2011. L'actuel président de la Buba, Jens Weidmann, a lourdement critiqué l'OMT,
le programme de rachat illimité d'obligations souveraines de Mario
Draghi devant la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.
Inquiétudes encore vives
Ces inquiétudes sont loin d'être éteinte. Elles se sont même
ravivées avec la politique ultra accommodante qu'a lancé la BCE le 5
juin. Officiellement, la Buba soutient ces mesures, mais en pratique,
c'est un peu moins vrai. Et le ministre allemand des Finances Wolfgang
Schäuble a même invité la BCE à réfléchir à une hausse des taux… Du
coup, on comprend que beaucoup craignent outre-Rhin que l'on profite de
l'absence de vote de la Buba pour « imposer à l'Allemagne » des mesures
dont elle ne veut pas.
Moindre mal
Pour autant, selon la FAZ, le gouvernement allemand ne
tentera pas de dénoncer le système de rotation au sein du conseil des
gouverneurs de la BCE. « Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement fédéral d'ouvrir une discussion sur des changements dans le statut de la BCE »,
indique-t-on à Berlin. En effet : certains pourraient profiter de cette
remise en cause du principe de rotation pour faire monter les enchères
pour réclamer une intervention sur le taux de change ou un objectif de
croissance ou d'emploi pour la BCE. Finalement, Berlin se contente fort
bien de ce système qui, au final, n'est pas sûr d'affaiblir la position
allemande dans la banque centrale.
Romaric Godin
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