lundi 16 juin 2014

Le changement de système de votes au sein de la BCE inquiète l'Allemagne

Avec l'entrée de la Lituanie dans la zone euro, une rotation des voix au sein du conseil des gouverneurs sera mise en place en 2015. L'Allemagne s'émeut d'une possible perte d'influence.

C'est une des conséquences de l'entrée de la Lituanie dans la zone euro le 1er janvier 2015. Le système de vote au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE va changer. Jusqu'ici, cette instance était constituée des 18 gouverneurs des banques centrales nationales et des six membres du directoire de la BCE. Tout le monde avait alors le droit de vote concernant les décisions de politique monétaire. Mais le 1er janvier prochain, les choses vont changer.

Une réforme prévue en 2003…

En 2003, la BCE avait prévu de modifier les conditions de vote au conseil. En théorie, l'adhésion d'un 16ème membre à la zone euro devait déclencher cette modification. Mais, en 2008, lorsque la BCE donnait son feu vert à l'adhésion de la Slovaquie, 16ème pays de l'Union économique et monétaire, son président Jean-Claude Trichet décida de remettre le grand chambardement à plus tard. Il est vrai qu'il savait que la modification du système de vote n'était guère appréciée par certains membres, à commencer par l'Allemagne. Le Français a sans doute préféré, assez élégamment transmettre à son successeur ce fardeau. Tout en dictant le futur fonctionnement du conseil.

… et appliquée en 2015

C'est donc l'adhésion d'un 19ème membre qui va modifier les règles. L'arrivée de la Lituanie a donc un impact plus important que celui de l'intégration de sa modeste économie. Désormais, les droits de vote des gouverneurs vont « tourner » chaque mois afin que le nombre de voix dans le Conseil ne dépasse jamais 21 (15 gouverneurs et les six membres du directoire). Dans un premier temps, les gouverneurs seront divisés en deux groupes. Le premier regroupera les 5 plus grandes économies (Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas). Le second regroupera les autres. Le premier groupe disposera de 4 voix et le second de 11.

Le principe de la rotation

Concrètement, un des gouverneurs du premier groupe perdra son droit de vote au conseil tous les 5 mois. Deux fois par an, donc, le gouverneur de la Banque de France et celui de la Bundesbank ne pourront voter au conseil. Dans le second groupe, trois gouverneurs (pour le moment) seront privés de droit de vote chaque mois. Ce système tiendra jusqu'à ce que l'UEM atteigne 22 membres. Alors, le conseil sera divisé en trois groupes, mais le premier groupe conservera 5 membres et 4 voix, tandis que le deuxième et le troisième ne seront stables qu'en nombre de voix (8 et 3 respectivement). Autrement dit, l'ajustement se fera sur les « petits pays. »

Les conséquences : perte d'influence des « petits »

Quelles sont les conséquences de ce système ? D'abord, une légère perte d'influence relative des petites économies. Jusqu'ici, par exemple, le gouverneur de la banque centrale maltaise dont le PIB pèse 10 milliards d'euros avait le même poids dans le conseil que le président de la Buba allemande, représentant une économique 250 fois plus lourde. A partir de 2015, sur un an, la Buba votera 10 fois et son homologue maltais 9,4 fois (en moyenne). La différence est faible, mais elle devrait croître. Si un jour l'UEM atteint 21 membres, Malte votera 8,25 fois par an, contre toujours 10 fois pour l'Allemagne. Si les 28 pays de l'Union européenne finissait par entrer dans la zone euro, Malte ne pourrait voter que 4 fois par an en moyenne. Il y a donc une représentativité croissante des « grands. »

Un directoire plus puissant

Deuxième élément : le poids du directoire, qui, lui, conserve un droit de vote permanent, a s'accroître, donnant au président de la BCE un peu plus de pouvoir, car on peut imaginer que le vote du directoire est un peu plus « cohérent » que celui des gouverneurs.

Des « grands » soumis parfois à un silence relatif

Troisième élément : malgré ce poids relatif plus important, chacun des « grands » va devoir apprendre à ne pas peser sur les décisions pendant deux mois de l'année. Même s'il est précisé que chaque gouverneur continuera à disposer d'un droit de parole et donc pourra continuer à influer indirectement sur le conseil. Selon les analystes de Barclays, il est, du reste, impensable, que « les voix de ceux qui ne votent pas soient ignorées. » Mais ce n'est pas l'avis de tout le monde.

Emotion en Allemagne

En Allemagne, en effet, cette réforme émeut la presse. Ce lundi, la Frankfurter Allgemeine Zeitung et le Handelsblatt s'insurgent contre cette idée qu'un Conseil des gouverneurs de la BCE puisse se passer du vote de la première économie de la région. Le Handelsblatt titre : « l'Allemagne menacée d'une perte de pouvoir. » Derrière ces protestations, il n'y a pas qu'une question de prestige ou d'honneur. Depuis la crise de la zone euro, les Allemands craignent de devoir accepter, malgré eux, des politiques contraires à leur « culture économique », mais aussi à leur intérêt macro-économique.

La BCE résiste au pouvoir allemand

Car la BCE est au centre de leurs inquiétudes, parce que c'est là que, en Europe, le pouvoir allemand est le plus faible, du fait de son indépendance. Au Conseil, ou au parlement, rien ne peut se faire sans l'aval de Berlin. A la BCE, c'est beaucoup moins évident. En 2011 et 2012, la Buba avait ainsi mené une résistance vaine contre la politique de la BCE de rachat de dette souveraine. L'ancien économiste en chef de la BCE, Jürgen Stark, avait même démissionné avec fracas du directoire de la BCE en 2011. L'actuel président de la Buba, Jens Weidmann, a lourdement critiqué l'OMT, le programme de rachat illimité d'obligations souveraines de Mario Draghi devant la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.

Inquiétudes encore vives

Ces inquiétudes sont loin d'être éteinte. Elles se sont même ravivées avec la politique ultra accommodante qu'a lancé la BCE le 5 juin. Officiellement, la Buba soutient ces mesures, mais en pratique, c'est un peu moins vrai. Et le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a même invité la BCE à réfléchir à une hausse des taux… Du coup, on comprend que beaucoup craignent outre-Rhin que l'on profite de l'absence de vote de la Buba pour « imposer à l'Allemagne » des mesures dont elle ne veut pas.

Moindre mal

Pour autant, selon la FAZ, le gouvernement allemand ne tentera pas de dénoncer le système de rotation au sein du conseil des gouverneurs de la BCE. « Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement fédéral d'ouvrir une discussion sur des changements dans le statut de la BCE », indique-t-on à Berlin. En effet : certains pourraient profiter de cette remise en cause du principe de rotation pour faire monter les enchères pour réclamer une intervention sur le taux de change ou un objectif de croissance ou d'emploi pour la BCE. Finalement, Berlin se contente fort bien de ce système qui, au final, n'est pas sûr d'affaiblir la position allemande dans la banque centrale.
L'auteur
Romaric Godin
Romaric Godin

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