mardi 24 juin 2014

Six questions sur la nouvelle écotaxe

De nombreux points sur le dispositif appelé à remplacer l’écotaxe restent à préciser. Les relations avec Ecomouv’ et les moyens de compenser le manque à gagner pour l’Etat sont notamment à éclaircir.

Le gouvernement a précisé ce lundi les contours du « péage de transit poids lourds  » destiné à remplacer l’écotaxe. Avec ce dispositif, fruit de compromis pesés au trébuchet, le gouvernement fait le choix d’affirmer le principe d’une fiscalité basée sur le principe « utilisateur-payeur », qui avait failli passer à la trappe avec la débâcle de l’écotaxe. Mais cela passe, pour anesthésier les oppositions, par une baisse drastique des recettes attendues. Décryptage.

Quelles différences entre l’ancien et le nouveau système ?

Au-delà du changement de nom, le fait nouveau est l’élagage radicale du réseau concerné. L’écotaxe devait s’appliquer sur 15.000 kilomètres de routes (10.000 kilomètres de réseau national non concédé et 5.000 kilomètres de routes locales). Le nouveau dispositif se limitera à 3.800 kilomètres d’ « axes de grand transit », c’est-à-dire ceux qui, selon le ministère de l’Ecologie, voient passer plus de 2.500 poids lourds par jour. L’objectif est « de ne pas pénaliser la petite économie locale et les trajets répétitifs », précisait ce week-end l’entourage du Premier ministre. Mais aussi de réduire le nombre potentiel d’opposants. Pour éviter des effets de report sur certains axes spécifiques, 200 kilomètres de routes locales, dont le périphérique parisien, seront également taxés.
Au passage, le nouveau tracé épargne quasiment la Bretagne, à l’exception de l’axe Nord-Sud Nantes-Saint Lo, afin sans doute que les « bonnets rouges » bretons ne puissent revendiquer une victoire totale, et pour limiter les protestations des autres régions sur le thème de la rupture d’équité.
Pour le reste, les similitudes entre ancien et nouveau système sont très nombreuses. La cible reste la même (les camions de plus de 3,5 tonnes), tout comme le taux moyen du prélèvement (13 centimes d’euros par kilomètre), la technologie (le calcul des parcours grâce à un boîtier GPS embarqué dans le camion), et le prestataire, le consortium Ecomouv’.

Y aura t-il encore des portiques ?

Oui, même si l’exécutif s’est montré jusqu'ici laconique sur ce sujet. Les quelque 170 portiques installées servent non pas à facturer, mais à s’assurer que les poids lourds sont bien équipés du boîtier GPS qui sert à calculer le parcours, et donc le montant de la taxe. Au vu du calendrier annoncé (une marche à blanc dans 3 mois et une mise en service effective dès le 1er janvier 2015), une évolution du dispositif technique paraît inenvisageable. Le nombre de portiques devrait par contre être réduit, à la fois pour réduire le risque de dégradations dans les régions sensibles, accompagner la réduction du réseau taxable, mais également réduire les frais d’exploitation et de maintenance.

Que devient Ecomouv’ ?

La société Ecomouv’, qui devait assurer le recouvrement de l’écotaxe, après avoir conçu et réalisé le réseau de collecte, reste en selle. Manuel Valls a indiqué qu’il serait fait appel à son infrastructure pour mettre en œuvre le péage de transit. L’Etat n’a pas les moyens de se priver des services de ce consortium , filiale à 70% de l’italien Atlantia, qui a investi 600 millions d’euros dans une infrastructure encore jamais utilisée à ce jour. Surtout quant on sait que la validité du contrat de partenariat public-privé passé fin 2011 entre ses dirigeants et le gouvernement Fillon est acquise. Fin mai une commission d’enquête du Sénat a estimé qu’il n’y avait rien à redire à cet accord, si ce n’est sa complexité. Paris ne s’est pas risqué à s’attaquer à un tel « contrat en béton ». Abandonner définitivement l’écotaxe l’exposait à devoir régler 850 millions d’euros de dommages et intérêts à Ecomouv’. Ce chiffre figure dans le protocole d’accord conclu ce lundi, selon Reuters, pour éteindre le contentieux né de la décision du gouvernement Ayrault de suspendre l’écotaxe, en octobre 2013.
Cet accord prévoirait un versement exceptionnel à Ecomouv’ au titre de 2014. L’Etat, au motif qu’il n’avait pas réceptionné les travaux n’a jamais versé la moindre pénalité au consortium, laissé en plan depuis neuf mois. « La position de l’Etat n’était pas très solide », indique un proche du dossier pour expliquer le geste financier de Paris. Le même protocole d’accord prévoirait le versement de 230 millions d’euros par an à Ecomouv à partir de 2015 au titre du recouvrement du péage pour les poids-lourds.

Combien rapportera le nouveau prélèvement ?

Michel Sapin avait déjà dû faire son deuil des 800 millions de recettes attendues sur l’écotaxe pour 2014. Ce manque à gagner figure dans la trajectoire de déficit, et a été compensé par une limitation des dépenses de l’Afitf et par une dotation complémentaire de l’Etat « intégralement financée par des économies en gestion ». Cette ressource ne sera que partiellement compensée par le « péage transit poids lourds », ce dispositif devant rapporter une recette brute de 550 millions d’euros à compter de 2015, là où celles de l’écotaxe devaient se monter à 1,1 milliard. En déduisant les 230 millions d’euros de « loyer » récupérés par Ecomouv, l’écotaxe devait dégager environ 800 millions d’euros pour financer la rénovation des infrastructures de transport. Le péage de transit ne devrait lui en générer guère plus de 300.
« Il n’est pas question que le budget en faveur de ce type de transport et en particulier des transports alternatifs à la route diminue, a assuré le ministre des Finances Michel Sapin sur France Info. Il faudra simplement compléter les ressources par d’autres ressources qui nous permettront de maintenir le budget ». L’exécutif s’est toutefois bien gardé de préciser jusqu’à présent ce que pouvaient être ces « autres ressources  ». L’une des pistes est de négocier un avenant avec les sociétés d’autoroutes pour capter une partie du surcroît de recettes qu'elles empocheront, la mise en place du nouveau prélèvement devant générer un report de trafic sur leur réseau. Mais cela restera sans doute insuffisant.
Si le loyer annuel perçu par Ecomouv’ n’évolue pas, le coût de collecte du nouveau prélèvement sera proche de 40 %. Mais l’objectif du gouvernement est sans doute de prendre date, pour monter en puissance plus tard et diminuer à terme ce taux. Le député PS Gilles Savary a d’ailleurs salué hier « une fiscalité d’avenir », avec une portée « aussi considérable que la création de la CSG par le gouvernement de Michel Rocard en 1990. »

Qui s’oppose encore au nouveau système ?

Les « bonnets rouges » bretons ne sont toujours pas satisfaits. Leur porte-parole Christian Troadec, juge que cette « écotaxe bis » n’est pas « le bon scénario » et continue de réclamer la gratuité des routes y compris sur l’axe Nantes-Saint Lo.
Mais les plus remontés contre le péage de transit semblent être les représentants du transport routiers. Certes le principe de répercussion inscrit dans l’écotaxe (ce n’est pas le transporteur qui paie, mais le donneur d’ordre) est conservé, mais avec un taux revu nettement à la baisse (2 %, contre 5,2 %).
Dans un communiqué commun, trois des principales fédérations de transporteurs routiers, la FNTR, TLF et l’Unostra, font valoir leur « incompréhension » face à la décision du Premier ministre. « La décision de maintenir l’écotaxe est un choc et une épreuve supplémentaire » pour les entreprises du secteur, assurent-elles. De surcroît, le nouveau tracé « introduit une rupture dans l’égalité territoriale, fait valoir Nicolas Paulissen, le délégué général de la FNTR. Il va aboutir à ces que les entreprise basées par exemple dans le Nord-Pas de Calais, en Ile-de-France ou dans le Limousin, soient plus taxées que d’autres ».
Quant à l’Otre, fédération patronale qui était à la pointe du combat contre l’écotaxe, elle assure que « les transporteurs s’organisent dès à présent sur l’organisation de mouvements d’ampleur et durables. » Pour calmer les esprits, le gouvernement a chargé Frédéric Cuvillier, le secrétaire d’Etat aux Transports, d’engager « les discussions avec les professionnels afin d’envisager les mesures nécessaires à la modernisation du secteur ». Pas sûr que cela suffise.

Le nouveau calendrier est-il tenable ?

C’est une des vulnérabilités du schéma gouvernemental. La FNTR se plaint déjà d’un calendrier « qui ignore les réalités des PME /TPE ». Il reste des centaines de milliers de poids lourds à enregistrer auprès d’Ecomouv’ en six mois, Pour écarter les perspective d’un nouveau report, l’exécutif a précisé ce lundi que « les modalités d’enregistrement (...) ainsi que leurs obligations d’équipement seront allégées par rapport à celles qui étaient envisagées pour l’écotaxe poids lourds. En particulier, l’application du péage de transit poids lourds ne nécessitera pas d’obliger tous les véhicules immatriculés en France concernés à disposer d’un équipement embarqué en permanence. »

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