De nombreux points sur le dispositif appelé à remplacer l’écotaxe restent à préciser. Les relations avec Ecomouv’ et les moyens de compenser le manque à gagner pour l’Etat sont notamment à éclaircir.
Le gouvernement a précisé ce lundi les contours du « péage de transit poids lourds
» destiné à remplacer l’écotaxe. Avec ce dispositif, fruit de compromis
pesés au trébuchet, le gouvernement fait le choix d’affirmer le principe
d’une fiscalité basée sur le principe « utilisateur-payeur », qui avait
failli passer à la trappe avec la débâcle de l’écotaxe. Mais cela
passe, pour anesthésier les oppositions, par une baisse drastique des
recettes attendues. Décryptage.
Quelles différences entre l’ancien et le nouveau système ?
Au-delà
du changement de nom, le fait nouveau est l’élagage radicale du réseau
concerné. L’écotaxe devait s’appliquer sur 15.000 kilomètres de routes
(10.000 kilomètres de réseau national non concédé et 5.000 kilomètres de
routes locales). Le nouveau dispositif se limitera à 3.800 kilomètres
d’ « axes de grand transit », c’est-à-dire ceux qui, selon le
ministère de l’Ecologie, voient passer plus de 2.500 poids lourds par
jour. L’objectif est « de ne pas pénaliser la petite économie locale et les trajets répétitifs »,
précisait ce week-end l’entourage du Premier ministre. Mais aussi de
réduire le nombre potentiel d’opposants. Pour éviter des effets de
report sur certains axes spécifiques, 200 kilomètres de routes locales,
dont le périphérique parisien, seront également taxés.
Au
passage, le nouveau tracé épargne quasiment la Bretagne, à l’exception
de l’axe Nord-Sud Nantes-Saint Lo, afin sans doute que les « bonnets
rouges » bretons ne puissent revendiquer une victoire totale, et pour
limiter les protestations des autres régions sur le thème de la rupture
d’équité.
Pour le reste, les
similitudes entre ancien et nouveau système sont très nombreuses. La
cible reste la même (les camions de plus de 3,5 tonnes), tout comme le
taux moyen du prélèvement (13 centimes d’euros par kilomètre), la
technologie (le calcul des parcours grâce à un boîtier GPS embarqué dans
le camion), et le prestataire, le consortium Ecomouv’.
Y aura t-il encore des portiques ?
Oui,
même si l’exécutif s’est montré jusqu'ici laconique sur ce sujet. Les
quelque 170 portiques installées servent non pas à facturer, mais à
s’assurer que les poids lourds sont bien équipés du boîtier GPS qui sert
à calculer le parcours, et donc le montant de la taxe. Au vu du
calendrier annoncé (une marche à blanc dans 3 mois et une mise en
service effective dès le 1er janvier 2015), une évolution du dispositif
technique paraît inenvisageable. Le nombre de portiques devrait par
contre être réduit, à la fois pour réduire le risque de dégradations
dans les régions sensibles, accompagner la réduction du réseau taxable,
mais également réduire les frais d’exploitation et de maintenance.
Que devient Ecomouv’ ?
La
société Ecomouv’, qui devait assurer le recouvrement de l’écotaxe,
après avoir conçu et réalisé le réseau de collecte, reste en selle.
Manuel Valls a indiqué qu’il serait fait appel à son infrastructure pour
mettre en œuvre le péage de transit. L’Etat n’a pas les moyens de se
priver des services de ce consortium , filiale à 70% de l’italien
Atlantia, qui a investi 600 millions d’euros dans une infrastructure
encore jamais utilisée à ce jour. Surtout quant on sait que la validité
du contrat de partenariat public-privé passé fin 2011 entre ses
dirigeants et le gouvernement Fillon est acquise. Fin mai une commission
d’enquête du Sénat a estimé qu’il n’y avait rien à redire à cet accord,
si ce n’est sa complexité. Paris ne s’est pas risqué à s’attaquer à un
tel « contrat en béton ». Abandonner définitivement l’écotaxe l’exposait
à devoir régler 850 millions d’euros de dommages et intérêts à
Ecomouv’. Ce chiffre figure dans le protocole d’accord conclu ce lundi,
selon Reuters, pour éteindre le contentieux né de la décision du
gouvernement Ayrault de suspendre l’écotaxe, en octobre 2013.
Cet
accord prévoirait un versement exceptionnel à Ecomouv’ au titre de
2014. L’Etat, au motif qu’il n’avait pas réceptionné les travaux n’a
jamais versé la moindre pénalité au consortium, laissé en plan depuis
neuf mois. « La position de l’Etat n’était pas très solide »,
indique un proche du dossier pour expliquer le geste financier de Paris.
Le même protocole d’accord prévoirait le versement de 230 millions
d’euros par an à Ecomouv à partir de 2015 au titre du recouvrement du
péage pour les poids-lourds.
Combien rapportera le nouveau prélèvement ?
Michel
Sapin avait déjà dû faire son deuil des 800 millions de recettes
attendues sur l’écotaxe pour 2014. Ce manque à gagner figure dans la
trajectoire de déficit, et a été compensé par une limitation des
dépenses de l’Afitf et par une dotation complémentaire de l’Etat « intégralement financée par des économies en gestion ».
Cette ressource ne sera que partiellement compensée par le « péage
transit poids lourds », ce dispositif devant rapporter une recette brute
de 550 millions d’euros à compter de 2015, là où celles de l’écotaxe
devaient se monter à 1,1 milliard. En déduisant les 230 millions d’euros
de « loyer » récupérés par Ecomouv, l’écotaxe devait dégager environ
800 millions d’euros pour financer la rénovation des infrastructures de
transport. Le péage de transit ne devrait lui en générer guère plus de
300.
« Il n’est pas question
que le budget en faveur de ce type de transport et en particulier des
transports alternatifs à la route diminue, a assuré le ministre des Finances Michel Sapin sur France Info. Il faudra simplement compléter les ressources par d’autres ressources qui nous permettront de maintenir le budget ». L’exécutif s’est toutefois bien gardé de préciser jusqu’à présent ce que pouvaient être ces « autres ressources
». L’une des pistes est de négocier un avenant avec les sociétés
d’autoroutes pour capter une partie du surcroît de recettes qu'elles
empocheront, la mise en place du nouveau prélèvement devant générer un
report de trafic sur leur réseau. Mais cela restera sans doute
insuffisant.
Si le loyer annuel
perçu par Ecomouv’ n’évolue pas, le coût de collecte du nouveau
prélèvement sera proche de 40 %. Mais l’objectif du gouvernement est
sans doute de prendre date, pour monter en puissance plus tard et
diminuer à terme ce taux. Le député PS Gilles Savary a d’ailleurs salué
hier « une fiscalité d’avenir », avec une portée « aussi considérable que la création de la CSG par le gouvernement de Michel Rocard en 1990. »
Qui s’oppose encore au nouveau système ?
Les « bonnets rouges » bretons ne sont toujours pas satisfaits. Leur porte-parole Christian Troadec, juge que cette « écotaxe bis » n’est pas « le bon scénario » et continue de réclamer la gratuité des routes y compris sur l’axe Nantes-Saint Lo.
Mais
les plus remontés contre le péage de transit semblent être les
représentants du transport routiers. Certes le principe de répercussion
inscrit dans l’écotaxe (ce n’est pas le transporteur qui paie, mais le
donneur d’ordre) est conservé, mais avec un taux revu nettement à la
baisse (2 %, contre 5,2 %).
Dans
un communiqué commun, trois des principales fédérations de transporteurs
routiers, la FNTR, TLF et l’Unostra, font valoir leur « incompréhension » face à la décision du Premier ministre. « La décision de maintenir l’écotaxe est un choc et une épreuve supplémentaire » pour les entreprises du secteur, assurent-elles. De surcroît, le nouveau tracé « introduit une rupture dans l’égalité territoriale, fait valoir Nicolas Paulissen, le délégué général de la FNTR. Il
va aboutir à ces que les entreprise basées par exemple dans le Nord-Pas
de Calais, en Ile-de-France ou dans le Limousin, soient plus taxées que
d’autres ».
Quant à l’Otre, fédération patronale qui était à la pointe du combat contre l’écotaxe, elle assure que « les transporteurs s’organisent dès à présent sur l’organisation de mouvements d’ampleur et durables. » Pour calmer les esprits, le gouvernement a chargé Frédéric Cuvillier, le secrétaire d’Etat aux Transports, d’engager « les discussions avec les professionnels afin d’envisager les mesures nécessaires à la modernisation du secteur ». Pas sûr que cela suffise.
Le nouveau calendrier est-il tenable ?
C’est une des vulnérabilités du schéma gouvernemental. La FNTR se plaint déjà d’un calendrier « qui ignore les réalités des PME /TPE ».
Il reste des centaines de milliers de poids lourds à enregistrer auprès
d’Ecomouv’ en six mois, Pour écarter les perspective d’un nouveau
report, l’exécutif a précisé ce lundi que « les modalités
d’enregistrement (...) ainsi que leurs obligations d’équipement seront
allégées par rapport à celles qui étaient envisagées pour l’écotaxe
poids lourds. En particulier, l’application du péage de transit poids
lourds ne nécessitera pas d’obliger tous les véhicules immatriculés en
France concernés à disposer d’un équipement embarqué en permanence. »
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