L'intérêt d'Orange pour Bouygues Telecom est réel, mais le groupe ira-t-il au-delà des spéculations de ses banques d'affaires, des études exploratoires ? Selon l'agence Reuters, L'opérateur historique a en effet mandaté les banques Lazard et Credit Suisse pour étudier l'opportunité du rachat de son concurrent, une opération estimée à plus de 6 milliards d'euros. Orange a bien besoin de deux banques pour examiner une opération fort complexe, notamment pour obtenir le feu vert des autorités de la concurrence. Aucune décision n'a été arrêtée. D'ailleurs, selon une source au fait de la situation citée par l'agence :
« Les deux parties ne négocient pas activement pour le moment, mais les discussions sont toutefois réelles et l'opération est une évidence pour Orange s'il parvient à la mener à bien. Les synergies potentielles sont énormes. »
Des synergies « énormes »
Les synergies « énormes », c'est l'argument numéro un défendu par les plus favorables au projet au sein du comité exécutif, à l'heure où le groupe est engagé dans un vaste plan de réduction de coûts. Les analystes évoquent plus d'un milliard d'euros de synergies par an pour Orange, de l'ordre de 5,8 milliards d'euros en valeur actualisée, notamment en raison de l'effet « market repair » (littéralement réparation du marché), c'est-à-dire la fin de la guerre des prix, voire la remontée de ces derniers, et surtout celles des marges.Arnaud Montebourg, le ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique, a déclaré mardi que « favoriser la consolidation et le retour à trois opérateurs n'est pas synonyme d'entente. » Cherchant à calmer les craintes des associations de défense des consommateurs, le ministre a assuré « qu'il peut y avoir de la concurrence à trois. Le maintien de Free, qui est le disruptif du secteur, maintiendra une pression sur les prix. »
« Dès que Free a pu remonter les prix dans le fixe, il a été le premier à le faire » relève un dirigeant d'Orange.Alors, vraie accalmie ou simple stabilisation des prix ? Difficile de le prédire aujourd'hui, même si l'exemple de l'Aurtiche a montré cette remontée des prix après un passage de quatre à trois opérateurs. Le numéro deux d'Orange, le directeur général délégué, Gervais Pellissier, a mis en garde sur les risques de brandir cet assainissement espéré du marché.
« Le « market repair » c'est bon pour les investisseurs, mais c'est un gros mot pour les autorités de la concurrence » a relevé le dirigeant, qui prendra la tête des activités d'Orange en Europe au 1er septembre, cité par l'agence Bloomberg.
Ne pas subir et pousser Free dans ses retranchements
« Un rachat de Bouygues Telecom aurait trois intérêts : l'effet market repair du passage de quatre à trois, récupérer une base clients et éviter qu'il ne tombe dans les mains d'un autre » confie un dirigeant d'Orange. Pendant la bataille pour le rachat de SFR, l'opérateur historique déclarait qu'il ne pouvait participer à la recomposition du secteur. Une position de spectateur jugée peu valorisante, notamment vis-à-vis des investisseurs : « faut-il regarder le dossier Bouygues ou subir la consolidation ? » s'interroge-t-on désormais à la direction d'Orange, où l'on aimerait ne pas laisser l'initiative stratégique à Free.« Pour Bouygues Telecom, il n'y a pas trente-six solutions dans un scénario de consolidation : soit un rapprochement avec Iliad-Free, soit avec nous. Aucun acquéreur non français ne pourrait lui proposer un prix convenable » a affirmé le PDG d'Orange le 20 mai dernier lors d'une audition devant la commission des affaires économiques du Sénat.Un prix conforme aux prétentions de Martin Bouygues, qui en réclamerait 8 milliards d'euros ? Le curseur des offres potentielles en semble encore assez éloigné. Free ne serait prêt à aligner que 4 milliards, Orange envisagerait de proposer plus, jusqu'à 6 milliards d'euros. « Orange ne détruirait pas de valeur à 6,3 milliards d'euros proposés à Bouygues Telecom » estiment les analystes d'Oddo Securities.
A la direction d'Orange, certains ne cachent pas que si cette agitation peut amener Free à bouger et payer Bouygues plus cher qu'il n'est prêt à débourser initialement, le groupe aura réussi son coup. Stéphane Richard a d'ailleurs martelé qu'il ne voulait pas engager le groupe dans une aventure risquée et qu'un rachat de Bouygues « n'est pas une nécessité pour Orange. »
Mais Free est en réalité la clé de la recomposition du marché. Il est impératif pour Orange de prévoir en amont les « remèdes » concurrentiels, tels que la revente du réseau et des fréquences de Bouygues à … Free, seul acquéreur possible alors que Virgin Mobile est sur le point d'être absorbé par Numericable-SFR. Problème : un prix a déjà été fixé, lors de la tentative de rachat de SFR par Bouygues, soit 1,8 milliard d'euros (environ 1 milliard pour le réseau, le solde pour les fréquences). Un prix bradé, une vraie affaire pour Free, mais au-dessus duquel il sera difficile de convaincre Xavier Niel... Orange espère cependant pouvoir négocier et en obtenir 2,2 à 2,3 milliards, selon Les Echos.
Des autorités de la concurrence peut-être plus clémentes ?
En admettant qu'un accord puisse être trouvé avec Free sur le prix du réseau, un rachat du numéro trois du mobile (en passe d'être dépassé par Free qui compte déjà plus d'abonnés fixes et mobiles que Bouygues désormais) par le numéro un passerait-il devant le gendarme de la concurrence ? Le PDG Stéphane Richard s'est récemment réjoui, sur son compte Twitter ouvert il y a peu, du feu vert de Bruxelles à la consolidation en Irlande, « une bonne nouvelle pour l'Europe connectée. Quelle est la suite ? » Cependant, l'autorisation par la Commission européenne du rachat de O2 Ireland (Telefonica) par son rival « Three » (Hutchison), revenant à la fusion des numéros deux et trois du marché, est assortie de nombreuses conditions et ressemblerait plus au rachat de SFR par Bouygues ou Free, ou à celui de Bouygues par Free dans l'Hexagone.« Il n'y a jamais eu de consolidation autour du leader. Quand je vois les remèdes demandés par la Commission européenne en Irlande, je n'y vois pas un encouragement pour nous » confie un autre dirigeant d'Orange.Revente de fréquences, laissant la possibilité à un opérateur virtuel de devenir opérateur de réseau donc la porte ouverte à un éventuel nouvel entrant, maintien de l'accord de partage de réseau avec le plus petit acteur du marché : les concessions demandées en Irlande sont importantes. En France, la revente du réseau et des fréquences pourrait ne pas suffire.
« Il nous faudrait peut-être envisager des cessions de bases de clients pour que les parts de marché du nouvel ensemble ne dépassent pas un seuil psychologique, que l'on peut estimer à 40 % pour le mobile et 45 % pour le fixe. C'est faisable » a déclaré Stéphane Richard le 20 mai, lors de son audition au Sénat.Selon la Lettre de l'Expansion, Orange aurait tâté le terrain à Bruxelles et la Commission ne serait pas fermée à l'idée d'une fusion avec Bouygues Telecom. C'est en effet Bruxelles qui examinerait une éventuelle opération, Orange ne réalisant que la moitié de son chiffre d'affaires sur son marché domestique, la France. Les autorités de la concurrence sont-elles vraiment plus clémentes et plus enclines à approuver un passage de quatre à trouis opérateurs ? La décision sur le projet de fusion entre 02 (Telefonica) et E-Plus (KPN) en Allemagne, attendue d'ici au 10 juillet, permettra d'en avoir le coeur net...
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