En sortant des millions de foyers fiscaux du champ de l'impôt sur le revenu, le gouvernement renforce l'idée fausse que « l'impôt, c'est les autres ». Et accroît l'insouciance des électeurs sur la dépense publique.
Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de baisse d'impôt ?
Rappelons
les faits, ou plutôt la décision. Le chef du bureau fiscal de l'Elysée,
comme on l'appelle en son palais, et son Premier ministre ont décidé,
de concert ou presque, de faire un geste pour plus de 3 millions de
foyers. Près de 2 millions d'entre eux ne paieront, finalement, pas
d'impôt sur le revenu cette année, contrairement à ce qui avait été voté
au Parlement à la fin de l'an dernier. Les autres auront droit à une
réduction. La mesure sera reconduite les années suivantes. Des impôts
jugés excessifs justifient la mesure. « Lourds, trop lourds », avait dit François Hollande. Pesant « lourdement sur les couches populaires et les classes moyennes, lui a fait écho Manuel Valls. C'est devenu insupportable ».
Au total, l'allégement fera un milliard d'euros - presque 1 euro de
moins par jour, en moyenne, pour chaque foyer fiscal concerné, ce qui
est loin d'être négligeable pour les plus modestes d'entre eux.
C'est
ici que se situe la première des trois bizarreries de cette mesure. Car
les foyers les plus modestes paient déjà… zéro euro d'impôt sur le
revenu. Il ne s'agit pas seulement de quelque milliers de misérables, ou
de quelque millions de Français, que l'on peut raisonnablement
qualifier de classes populaires, car 17 millions de foyers sur 36
échappent déjà à l'impôt sur le revenu - 47 % du total. Ceux qui vont
bénéficier de la mesure se situent quelque part au milieu de la classe
moyenne - ou pour être plus précis, dans son deuxième quartile -, pas au
début des classes moyennes, déjà exonérées, ni dans la moitié
supérieure. Etrange mesure donc pour un gouvernement de gauche, qui
consiste à donner un coup de main aux Français qui se situent au milieu
de la répartition des revenus et non aux plus démunis.
Cette
bizarrerie a bien sûr une explication logique. Elle vise à effacer les
effets politiquement désastreux d'une petite lâcheté du gouvernement
Fillon, reconduite sans sourciller par le gouvernement Ayrault. Pour
augmenter les rentrées fiscales, sans susciter une levée de bouclier, il
a suffi de ne pas toucher au barème au lieu de relever les taux. Avec
cette mesure invisible, la hausse des salaires (érodée par l'inflation)
fait mécaniquement rentrer plus d'argent dans les caisses. Mais elle
fait aussi rentrer des masses de contribuables dans le champ de l'impôt
sur le revenu. Ceux-là protestent vigoureusement, beaucoup plus que ceux
dont l'impôt ne fait « que » monter. D'autant plus que le fait d'être
imposable fait tomber, en France, toute une série d'avantages comme
l'exonération de redevance télé, l'aide à la cuve et l'octroi de bourses
d'études. La mesure Hollande-Valls vise d'abord à calmer ces
réintégrés. Elle est aussi plus simple qu'une mesure secourant les
foyers les plus vulnérables, comme, par exemple, ceux des mères
célibataires - une cause de pauvreté en pleine expansion.
La
deuxième bizarrerie vient de cette obsession française pour la baisse
de l'impôt sur le revenu. Depuis vingt ans, les trois quarts des
Premiers ministres ont baissé cet impôt. Comme ils n'ont jamais baissé
les dépenses publiques d'autant, il s'agissait fatalement d'une
politique en trompe-l'oeil. La France est pourtant le pays avancé où cet
impôt rapporte le moins. L'exception française n'apparaît pas dans les
statistiques de l'OCDE. Les « impôts sur le revenu des personnes
physiques » prélèvent 7,5 % du PIB, un peu moins que la moyenne OCDE
(8,5 %, données 2011). Mais ce chiffre agglomère l'impôt classique sur
le revenu avec une spécificité française, la CSG. Hors CSG, l'impôt
français sur le revenu prélève à peine plus de 3 % du PIB. Or c'est le
seul, avec l'impôt sur les héritages, qui est progressif et donc
conforme à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme de
1789 - la contribution à l'entretien de la force publique et aux
dépenses d'administration « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Comme ses prédécesseurs, le gouvernement entend réduire un impôt très
réduit (après l'avoir notablement augmenté sur les plus aisés).
Et
c'est là que se loge la troisième bizarrerie. Car la faiblesse globale
de l'impôt sur le revenu est aussi une faiblesse de la démocratie
française. La démocratie parlementaire a été inventée, rappelons-le,
pour contrôler les dépenses publiques et légitimer l'impôt. Or l'impôt
sur le revenu est le plus visible de tous.
En
sortant des millions de foyers de l'obligation de le payer, le
gouvernement renforce l'idée erronée que « l'impôt, c'est les autres ».
Et fait baisser la pression des électeurs pour contenir la dépense
publique. Des mesures simples permettraient de rendre les autres impôts
visibles. Afficher les prix hors TVA,
par exemple, comme aux Etats-Unis où la taxe locale sur la consommation
est rajoutée à la caisse. Les Français sauraient ainsi qu'ils versent
2.000 euros au percepteur quand ils achètent une voiture à 12.000 euros,
et 50 euros pour une télé à 300 euros. Ou bien leur verser un salaire
« chargé » en leur accordant le bonheur de signer des chèques avalant
plus du tiers de ce salaire pour payer les cotisations sociales. Ce
n'est pas un hasard si la France a à la fois l'impôt sur le revenu le
plus faible de tous les pays avancés et les prélèvements obligatoires
parmi les plus élevés. Pour légitimer l'impôt, l'Etat doit rendre la
taxation visible au lieu de la cacher. Et s'il parvient à réduire
durablement ses dépenses, il pourra alors réduire l'impôt sans prendre
les Français pour des gogos. Pour l'instant, il en est très loin.
Jean-Marc Vittori
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