mardi 3 juin 2014

Les trois bizarreries d'une baisse d'impôt

En sortant des millions de foyers fiscaux du champ de l'impôt sur le revenu, le gouvernement renforce l'idée fausse que « l'impôt, c'est les autres ». Et accroît l'insouciance des électeurs sur la dépense publique.

Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de baisse d'impôt ?
Rappelons les faits, ou plutôt la décision. Le chef du bureau fiscal de l'Elysée, comme on l'appelle en son palais, et son Premier ministre ont décidé, de concert ou presque, de faire un geste pour plus de 3 millions de foyers. Près de 2 millions d'entre eux ne paieront, finalement, pas d'impôt sur le revenu cette année, contrairement à ce qui avait été voté au Parlement à la fin de l'an dernier. Les autres auront droit à une réduction. La mesure sera reconduite les années suivantes. Des impôts jugés excessifs justifient la mesure. «  Lourds, trop lourds », avait dit François Hollande. Pesant «  lourdement sur les couches populaires et les classes moyennes, lui a fait écho Manuel Valls. C'est devenu insupportable ». Au total, l'allégement fera un milliard d'euros - presque 1 euro de moins par jour, en moyenne, pour chaque foyer fiscal concerné, ce qui est loin d'être négligeable pour les plus modestes d'entre eux.

C'est ici que se situe la première des trois bizarreries de cette mesure. Car les foyers les plus modestes paient déjà… zéro euro d'impôt sur le revenu. Il ne s'agit pas seulement de quelque milliers de misérables, ou de quelque millions de Français, que l'on peut raisonnablement qualifier de classes populaires, car 17 millions de foyers sur 36 échappent déjà à l'impôt sur le revenu - 47 % du total. Ceux qui vont bénéficier de la mesure se situent quelque part au milieu de la classe moyenne - ou pour être plus précis, dans son deuxième quartile -, pas au début des classes moyennes, déjà exonérées, ni dans la moitié supérieure. Etrange mesure donc pour un gouvernement de gauche, qui consiste à donner un coup de main aux Français qui se situent au milieu de la répartition des revenus et non aux plus démunis.
Cette bizarrerie a bien sûr une explication logique. Elle vise à effacer les effets politiquement désastreux d'une petite lâcheté du gouvernement Fillon, reconduite sans sourciller par le gouvernement Ayrault. Pour augmenter les rentrées fiscales, sans susciter une levée de bouclier, il a suffi de ne pas toucher au barème au lieu de relever les taux. Avec cette mesure invisible, la hausse des salaires (érodée par l'inflation) fait mécaniquement rentrer plus d'argent dans les caisses. Mais elle fait aussi rentrer des masses de contribuables dans le champ de l'impôt sur le revenu. Ceux-là protestent vigoureusement, beaucoup plus que ceux dont l'impôt ne fait « que » monter. D'autant plus que le fait d'être imposable fait tomber, en France, toute une série d'avantages comme l'exonération de redevance télé, l'aide à la cuve et l'octroi de bourses d'études. La mesure Hollande-Valls vise d'abord à calmer ces réintégrés. Elle est aussi plus simple qu'une mesure secourant les foyers les plus vulnérables, comme, par exemple, ceux des mères célibataires - une cause de pauvreté en pleine expansion.
La deuxième bizarrerie vient de cette obsession française pour la baisse de l'impôt sur le revenu. Depuis vingt ans, les trois quarts des Premiers ministres ont baissé cet impôt. Comme ils n'ont jamais baissé les dépenses publiques d'autant, il s'agissait fatalement d'une politique en trompe-l'oeil. La France est pourtant le pays avancé où cet impôt rapporte le moins. L'exception française n'apparaît pas dans les statistiques de l'OCDE. Les « impôts sur le revenu des personnes physiques » prélèvent 7,5 % du PIB, un peu moins que la moyenne OCDE (8,5 %, données 2011). Mais ce chiffre agglomère l'impôt classique sur le revenu avec une spécificité française, la CSG. Hors CSG, l'impôt français sur le revenu prélève à peine plus de 3 % du PIB. Or c'est le seul, avec l'impôt sur les héritages, qui est progressif et donc conforme à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 - la contribution à l'entretien de la force publique et aux dépenses d'administration «  doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Comme ses prédécesseurs, le gouvernement entend réduire un impôt très réduit (après l'avoir notablement augmenté sur les plus aisés).
Et c'est là que se loge la troisième bizarrerie. Car la faiblesse globale de l'impôt sur le revenu est aussi une faiblesse de la démocratie française. La démocratie parlementaire a été inventée, rappelons-le, pour contrôler les dépenses publiques et légitimer l'impôt. Or l'impôt sur le revenu est le plus visible de tous.
En sortant des millions de foyers de l'obligation de le payer, le gouvernement renforce l'idée erronée que « l'impôt, c'est les autres ». Et fait baisser la pression des électeurs pour contenir la dépense publique. Des mesures simples permettraient de rendre les autres impôts visibles. Afficher les prix hors TVA, par exemple, comme aux Etats-Unis où la taxe locale sur la consommation est rajoutée à la caisse. Les Français sauraient ainsi qu'ils versent 2.000 euros au percepteur quand ils achètent une voiture à 12.000 euros, et 50 euros pour une télé à 300 euros. Ou bien leur verser un salaire « chargé » en leur accordant le bonheur de signer des chèques avalant plus du tiers de ce salaire pour payer les cotisations sociales. Ce n'est pas un hasard si la France a à la fois l'impôt sur le revenu le plus faible de tous les pays avancés et les prélèvements obligatoires parmi les plus élevés. Pour légitimer l'impôt, l'Etat doit rendre la taxation visible au lieu de la cacher. Et s'il parvient à réduire durablement ses dépenses, il pourra alors réduire l'impôt sans prendre les Français pour des gogos. Pour l'instant, il en est très loin.
Jean-Marc Vittori

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