Avec des économies qui vont mieux, la finance flambe à nouveau. Mais les problèmes de fond révélés par la crise n'ont pas été réglés, seulement engloutis par un océan de liquidités. Les solutions restent à inventer.
L'économie
mondiale va mieux. Mais rien n'est réglé au fond. La finance peut donc
exploser à tout moment. Ces trois propositions ont été soumises ces
derniers jours à un dirigeant d'une organisation financière
internationale, un chef d'une grande entreprise, un gérant de fonds, un
chef économiste d'une grande banque, d'autres encore. A chaque fois, la
réaction a été la même : un temps de réflexion suivi d'un acquiescement.
C'est le signe que le redémarrage des économies avancées pose autant de
questions qu'il apporte de réponses. Ou que la normalisation est
anormale.
Redémarrage il y a, sans nul doute. Aux Etats-Unis, l'emploi a retrouvé son niveau d'avant-crise. Au Japon, la hausse de la TVA
semble faire enfin sortir le pays de deux décennies de déflation. Au
Royaume-Uni, l'activité accélère à 3 % l'an, démentant les sombres
pronostics de la majorité des prévisionnistes. En Europe, même la Grèce
semble repartir de l'avant, après un terrifiant recul d'un quart de sa
production. Dans les pays émergents, l'activité a ralenti après les
remous de l'an dernier mais elle reste plus tonique que dans les pays
avancés.
Les indicateurs
financiers sont aussi repartis. En France, l'indice CAC 40 a retrouvé
ses niveaux d'avant-faillite de Lehman Brothers. Aux Etats-Unis,
l'indice S&P 500, le plus large, bat ses records, 20 % au-delà de
son pic précédent de 2007. En Europe, les entreprises, qui trouvent
moins facilement de l'argent chez leurs banquiers, empruntent sur les marchés financiers à des taux d'intérêt
cléments. L'Etat grec a levé de l'argent frais, pour la première fois
depuis quatre ans. Le Portugal sort de son plan d'aide, après l'Irlande.
Les taux d'intérêt sur les dettes publiques des pays du Sud, qui
avaient bondi lors de la crise de l'euro, ont beaucoup baissé depuis que
le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a promis
de faire « tout ce qu'il faudra » pour préserver la monnaie.
En
réalité, c'est ici que les questions commencent. Car ce qui est
considéré comme le retour à la normale dans la finance touche ce qui a
été le plus anormal avant la tempête de 2008. Bien sûr, les produits
ultra-sophistiqués de la titrisation n'ont pas réapparu. Mais les
prêteurs recommencent à prêter les yeux fermés. En témoigne le retour
frénétique des financements « covenant light », « légers » en garanties
apportées par l'emprunteur. C'est le cas du montage d'Altice pour
racheter l'opérateur de télécoms SFR. Aux Etats-Unis, plus de la moitié
des emprunteurs « cov-lite » sont fragiles (notation au plus égale à B)
contre le tiers en 2007.
Autre
signal d'alarme : les bonus dans la finance flambent à nouveau. Wall
Street en a versé 26 milliards de dollars pour l'an dernier, le plus
haut niveau depuis les 39 milliards de 2007. Indépendamment de toute
considération morale, c'est l'indice que les mécanismes de rente propres
à la finance sont toujours là, et avec eux les incitations à prendre
des risques excessifs.
Et la
baisse des taux d'intérêt accordée aux entreprises ou à certains Etats
n'est pas qu'une bonne nouvelle : elle pointe aussi une sous-estimation
du risque. C'est l'analyse de José Viñals. Le directeur du département
banques et marchés financiers au Fonds monétaire international relève
que les obligations à haut rendement (« high yield ») émises ces trois
dernières années font le double de celles émises dans le même temps
avant la crise.
Ce qui nous
amène aux problèmes non réglés. Bien sûr, les banques sont mieux
surveillées qu'avant. Elles doivent respecter des règles plus
exigeantes, parfois trop. Mais deux failles majeures du système financier
restent béantes. D'abord, le « shadow banking » : nombre de
transactions financières fuient dans la « finance de l'ombre » moins
bien surveillée - voire pas du tout. Cette fuite devient un casse-tête
en Chine. Ensuite, le « too big to fail » : les grandes banques de la
planète restent trop grosses pour faire faillite. Elles bénéficient
toujours d'une garantie implicite des Etats qui se chiffre au bas mot en
dizaines de milliards de dollars ou d'euros.
L'économie
ne fait pas mieux que la finance. Bien sûr, la croissance se raffermit.
Mais ses ressorts posent question. Dans les pays les plus vifs,
l'endettement public (Japon) ou privé (Etats-Unis et Royaume-Uni) joue
un rôle central. Ailleurs, ça rame. Derrière, il semble bien y avoir une
inflexion dans les gains de productivité. Et des problèmes, eux aussi
non résolus pour l'instant, de partage des revenus.
Mais
toutes ces interrogations sont noyées dans une mer de liquidités. La
machine à liquidités avait commencé à fonctionner à grande échelle au
début des années 2000, avec les taux d'intérêt très bas aux Etats-Unis
et le recyclage des excédents chinois croissants. Après le krach de
2008, elle avait tourné de plus belle, partout. La Fed américaine s'est
ensuite lancée dans la fabrication de monnaie en masse (les fameux
« QE »). Elle ralentit maintenant, mais la Banque du Japon a pris le
relais et pourrait accélérer bientôt, peut-être rejointe par la BCE
- c'est la promesse implicite du « ce qu'il faudra ». Cet
océan monétaire provoque la résurgence des excès financiers vus dans les
années 2000. Tout se passe comme si les investisseurs plaçaient leur
argent en fonction d'un scénario optimal - « pricing for perfection ».
Mais la perfection n'est pas de ce monde. Au cours du passage de
« marchés guidés par la liquidité à des marchés guidés par la
croissance », souhaité par le FMI dans son dernier rapport sur la stabilité financière
, il va y avoir des déceptions. Et des explosions. Cette fois-ci encore
moins que la précédente, vous ne pourrez pas dire que vous n'aviez pas
été prévenus.
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